Il y a quelques années le maire de Lyon avait été contraint de retirer l’installation d’une crèche à l’entrée de la mairie principale, au nom de la laïcité. Cette année le maire de Bordeaux déclare vouloir rompre avec la tradition du sapin érigé en centre ville et décoré de guirlandes et lumières, au nom de l’écologie…
Je ne rentrerai ni dans le débat de la laïcité, ni dans celui de l’écologie : on peut aller voir les articles en ligne nombreux sur ces 2 faits et thématiques – fort bien argumentés et d’un certain point de vue, parfaitement justifiés.
Je veux seulement ouvrir une autre fenêtre de questionnements : si Noël n’a plus ses signes dans l’espace public et de moins en moins dans l’espace privé, (combien ont encore dans leur foyer, un sapin et une crèche ? ) que se passe t-il ? Ces derniers nous rappellent ostensiblement que nous vivons un moment différent dans l’année, et que nous sommes invités à « autre chose » que la fonctionnalité de nos relations, (aspect que je vais développer plus loin), alors cette éviction des symboles de Noël – crèche et sapin – ne risque t-elle pas de réduire dramatiquement la fête à ceci : Noël, ce serait les « bonnes bouffes », l’explosion des ventes sur Amazon, dans les boutiques de luxe et/ou de gadgets, et quelques jours fériés… OR,
Noël est porteur de rituels, c’est un rite de passage.
Que viennent nous signifier les rituels ? J’aborderai dans un article à suivre, les différents aspects des rites et leur importance cruciale pour composer et unifier une société humaine, et structurer la sécurité de l’enfant. Contentons nous ici, de rappeler que l’étymologie du mot rite est un mot latin qui signifie usage, coutume. Dans toutes les sociétés humaines il y a (eu) mise en place de rites et rituels, et toutes les lectures (sociologique, anthropologique, psychiatrique…etc..) de cet invariant s’accordent à dire que l’on désigne par là une pratique non utilitaire à caractère symbolique.
Noël est une fête riche en symboles : le symbole nous promet qu’il y a dans notre vie humaine, autre chose que la réalité visible et tangible.
De quelles promesses, Noël est-il porteur ?
Noël, le sapin : vie et lumière…
La date de Noël, en décembre porte à penser que cette fête catholique est venue « s’appuyer » sur un rite païen, qui célébrait la lumière dans la profondeur des nuits d’hiver. Encore très marqué d’ailleurs dans les pays scandinaves où l’on fête sainte Lucie –jeune fille emblème de lumière au cœur de la nuit d’hiver – le 13 décembre avec autant de ferveur que Noël.
Le sapin, toujours vert quand tous les arbres alentour, offrent leurs branches dénudées à la désolation du froid et du gel, vient y faire écho ; et qui a senti dans son enfance, l’odeur du sapin coupé dans la maison – dans la saison décolorée et inodore qu’est l’hiver – peut se rappeler que tout d’un coup un parfum de vie flotte dans la maison. Cette odeur de bois et de sève convoque le vivant du printemps à venir, cette verdure affirme la vie quand tout semble mort.
Noël vient donc nous promettre que toute nuit se traverse et qu’au plus noir de celle ci, il faut continuer de croire au retour du lumineux, et du vivant.
Noël et la crèche…la fête de la Nativité : la promesse du recommencement.
Noël c’est aussi la fête de la Nativité : la crèche abrite un enfant, sa mère et son père refoulés de tout accueil humain, un âne et un bœuf ; et puis des bergers alentour et enfin au terme d’un long voyage les Rois Mages. Dépouillons un instant cette crèche de sa connotation religieuse.
Qui n’a pas été bouleversé en assistant à une naissance ? Qu’on soit parent ou professionnel, ou même adulte témoin d’une naissance, l’arrivée d’un tout petit au monde, éveille des sentiments uniques, indéfinissables tant ils sont singuliers.
Avec la crèche et ses composantes, il nous est rappelé la vulnérabilité du petit humain et l’immense tendresse qu’elle réveille en nous, le mystère de la vie qui s’éveille, sa force dans l’adversité (bébé dans une mangeoire !)
Elle nous parle de l’unité retrouvée : les hommes et les animaux sont reliés dans cette étable, l’âne et le bœuf réchauffent l’enfant ! Les étoiles indiquent le chemin aux bergers et aux rois : le ciel et la terre sont de connivence.
On entend le renversement des valeurs auquel ce mystère de la naissance nous appelle : les puissants rois mages se mettent en route et se prosternent devant un enfant. Pourquoi ?
Avec la crèche, tout ce que chaque naissance nous invite à revisiter, est signifié de façon métaphorique, poétique (et bien sur religieuse, si l’on est croyant) Tout, c’est à dire : la vulnérabilité humaine est extrême, elle est à protéger, la vie est sacrée, le lien entre les vivants est sacré : hommes, animaux, étoiles, pauvres et puissants de ce monde, nous sommes reliés.
Mais elle appelle aussi au courage d’accueillir du nouveau, d’embrasser les changements : toute vie nouvelle apporte la promesse du renouvellement de la vie. Comme le dit Hannah Arendt, « Le miracle qui sauve le monde c’est (…) le fait de la natalité, dans lequel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir ». Noël de ce point de vue, c’est donc « cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute, leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles [qui] annoncent leur ‘bonne nouvelle’ : « Un enfant nous est né » (H. Arendt. Condition de l’homme moderne p.314.Pocket. 1983)
Noël, symbole de Paix : la trêve de Noël.
Des récits bouleversants témoignent de ce que l’on a appelé depuis, « la trêve de Noël » : en 1914 les Allemands et les Français d’un coté et de l’autre des tranchées, en sont sortis, ont réveillonné ensemble, partagé des parties de foot le lendemain et puis…repris la guerre…En 1966, Américains et Vietnamiens ont observé aussi cette trêve et offert 24 heures de paix aux populations civiles. En 2015 elle a été observée dans la guerre entre Ukrainiens et rebelles prorusses…et dans bien d’autres endroits du monde, dans d’autres guerres, Noël est venu mettre une suspension dans le bruit et la fureur des hostilités. Noël c’est une invitation à la paix, au silence des armes et des luttes, une invitation à la réunification quand il y a eu déchirure.
Noël, le Père Noël, le don et la magie.
Noël enfin c’est aussi le Père Noël et je n’entrerai pas là non plus dans les polémiques sur ce personnage (patriarcal, icône de la consommation, trompant les enfants) Il me semble qu’il vient redire la magie du don, le sentiment d’abondance que l’on peut ressentir quand on se sent aimé, entouré, et que l’on reçoit de l’attention. Il parle aussi de la magie d’un au delà qui nous dépasse : dans le film Boyhood il y a ce dialogue magnifique entre un père et un petit garçon qui comprend que les elfes, fées, etc…tout cela n’existe pas, donc qu’ ‘il n’y a rien de magique dans ce monde’ ; et le père lui répond : « les baleines énormes, les étoiles de mer, (etc…) tu ne trouves pas que c’est magique ? » Le vivant dans sa diversité protéiforme, son inventivité que les découvertes menées par les scientifiques n’épuisent pas et n’épuiseront jamais : c’est ça la magie ! Le Père Noël nous rappelle où est la vraie magie et quand, enfant on a compris qu’il « n’existait pas » on comprend aussi que la véritable magie c’est de vivre un moment ‘à part’ avec des proches qui vous entourent.
Noël est un rituel pour célébrer le mystère de la vie, la magie de l’existence.
Évacuer les signes (crèche ou sapin) sans autre préoccupations qu’être idéologiquement ou politiquement correct est profondément insatisfaisant et dommageable. Les symboles de Noël sont appelés à évoluer : l’éloignement des pratiques religieuses, la laïcité et l’écologie obligent ! Mais il y a lieu de penser comment symboliser le sapin vert témoin de vie dans la nudité désolée des arbres en hiver, la crèche comme promesse de paix, source d’émerveillement au cœur des ténèbres et des guerres, avènement du nouveau… Noël est à réinventer, parce qu’aucune société humaine ne peut tisser des liens et les renforcer sans l’aide de rites qui lui rappellent le miracle de la naissance, la promesse du recommencement, le désir ardent de paix, le besoin de lumière dans la nuit.
Et pour l’enfant, l’information quotidienne qui lui est assénée dans sa brutalité aveugle – la plupart du temps sans précaution – les enjeux de compétition anxiogènes qui commencent à peser sur lui, dès son entrée à l’école, c’est à dire dès ses 3 ans aujourd’hui, le font vivre dans un monde inquiétant pour ne pas dire étouffant. Aucun enfant ne peut garder foi dans la vie s’il n’est pas soutenu et nourri par des moments magiques.
Il semble vital de redonner à voir et à vivre les promesses et symboles de Noël.
« Le rituel permet d’habiter le monde » : réenchantons Noël !
(C.Fleury. Ci-gît l’amer. p.76.Gallimard.)
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