Parents bienveillants, communication non violente : la promesse d’une « réussite éducative » ?
Quand on se promène dans une librairie au rayon éducation, on voit pléthore de livres sur l’empathie, la bienveillance, la communication non violente, comment mieux se comprendre, les compétences de l’enfant, les lois naturelles de l’enfant… Et la majorité des ateliers pour parents font les mêmes propositions : bienveillance, bienveillance… Non, je ne prône pas la violence ni la maltraitance, loin de là, mais vous dire mon étonnement de voir tant de livres et d’ateliers « bienveillants » autour de la parentalité comme si l’existence, le monde, et les enfants eux- mêmes n’étaient pas cruels, mon étonnement face à cette volonté farouche d’auréoler le monde de l’enfance de couleurs pastels et de s’appliquer à être de « bons parents », bienveillants, communicants, gentils et non violents, vous dire mon inquiétude, c’est aussi ouvrir une fenêtre à d’autres questionnements…
L’idée du bien a quelque chose de sanguinaire, pourquoi ? Le danger de l’idéalisme…
…est la culpabilité dans laquelle ces idéaux inaccessibles plongent les parents et ses corollaires : la honte et l’isolement. « Il est brutal d’avoir des idéaux » parce que toute lumière a son ombre, et nier la violence est un mensonge qui entraîne parfois bien loin… Promenons-nous encore en librairie, au rayon Littérature, et lisons quelques passages de Chanson douce, paru en 2016. Comme le dit l’auteur, Leïla Slimani, « cette histoire est celle des couples modernes, débordés, soucieux de tout réussir : vie sociale, professionnelle, familiale ». Ce récit dense tiré d’un fait divers met donc en scène un couple, leurs deux enfants, la nounou – et leur idéal de couple moderne.
C’est l’envers du décor de la maternité, la paternité ; et la solitude, en quelques phrases :
« Elle ressentait chaque jour un peu plus le besoin de marcher seule, et avait envie de hurler comme une folle dans la rue. « Ils me dévorent vivante » se disait-elle parfois. » « Elle était jalouse de son mari. »
« Elle avait toujours refusé l’idée que ses enfants puissent être une entrave à sa réussite, à sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers le fond, qui tire le visage du noyé dans la boue. Cette prise de conscience l’a plongée au début dans une profonde tristesse. Elle trouvait cela injuste, terriblement frustrant. Elle s’était rendu compte qu’elle ne pourrait plus jamais vivre sans avoir le sentiment d’être incomplète, de faire mal les choses, de sacrifier un pan de sa vie au profit d’un autre. Elle en avait fait un drame, refusant de renoncer au rêve de cette maternité idéale. S’entêtant à penser que tout était possible, qu’elle atteindrait tous ses objectifs, qu’elle ne serait ni aigre, ni épuisée. Qu’elle ne jouerait ni à la martyre, ni à la Mère courage. » P.43-44
Le père : « Tout ce qu’il voulait c’était de ne pas rentrer chez lui, être libre, vivre encore, lui qui avait si peu vécu et qui s’en était rendu compte trop tard. Les habits de père lui semblaient à la fois trop grands et trop tristes. »p.121-122 « On se sent seul auprès des enfants. Ils se fichent des contours de notre monde. Ils en devinent la dureté mais n’en veulent rien savoir. »p. 210
Chanson douce est un titre aussi prometteur que tous les bons livres sur l’éducation : mais il dénonce le mensonge et la cruauté d’un idéal, fût-il bien pensant et souhaitable .
« Nous avons des idéaux en grand nombre : les livres sacrés en sont pleins ; et pourtant nous sommes encore violents. Pourquoi donc ne pas affronter la violence elle-même et oublier le mot qui la désigne ? » (Krishnamurti, Se libérer du connu. Le livre de poche. p. 56)
Les adultes ont une grande diversité de valeurs à vivre au quotidien avec les enfants, valeurs à partager et transmettre : la liberté, la dignité, le courage, la bonté, la solidarité, la beauté… La gentillesse ne peut éclipser tous les besoins d’un être humain, en croissance ; ceux-ci doivent être pensés, conscientisés par les adultes et nourris.
Pour conclure (provisoirement)
« L’idée de bien [social] a quelque chose de sanguinaire, pourquoi ? Peut être est-ce parce que ceux qui veulent établir le bien sur terre ne rencontrent jamais d’adversaire légitime mais seulement des suppôts du mal contre lesquels tout est permis. Peut-être ce qu’il y a de terrible dans l’idée du bien, c’est cette volonté d’éradication du mal. »
Cultiver la gentillesse, l’empathie est une nécessité et comme évidemment personne ne peut en contester la valeur, elle est toujours politiquement, pédagogiquement, éthiquement, parfaite et inattaquable. Le risque est qu’elle mette le projecteur exclusivement sur le parent, et sur l’obligation d’être un bon, gentil parent. Le drame est que cette focalisation puisse éclipser tout autre sorte de considération bien aussi vitale pour l’enfant et que finalement cette considération adulto-centrée nous éloigne des réalités traversées par l’enfant (séparation parentale, jalousies fraternelles, sentiments d’incompréhension, solitude…) et de son monde intime.
La bienveillance ne peut être le seul mot d’ordre éducatif qui éclipse tout autre question, ni l’étendard auquel se rallier en toute circonstance. Certes, « Le courage d’éduquer », « Être parents consciemment » ou encore « Violence dans la parentalité », sont des titres moins appétissants que « Le meilleur pour mon enfant » ou bien « Pour une enfance heureuse »: ils invitent néanmoins à penser la parentalité non comme un bouquet de compétences et d’idéaux, que les parents doivent cultiver et arborer, mais à considérer la parentalité comme une aventure globale, existentielle, une manière d’accompagner et d’honorer la vie.
« On ne peut pas inviter le vent, mais on doit laisser la fenêtre ouverte »
Krishnamurti.
Cet article sera suivi d’une suite et fin :
« Être parent : être la fenêtre ouverte, « le cœur pensant de la baraque » »
A paraître en juin.